Le Mot du Weekend (31 mai 2025) Un Congo sans crises est-il possible ? L’histoire d’un déterminisme révolutionnaire (Tribune de Patience Kabamba)

L’auteur s’interroge sur la possibilité d’un Congo sans crises et propose une lecture historique fondée sur ce qu’il appelle un déterminisme révolutionnaire. Selon lui, les crises successives que traverse la République démocratique du Congo (RDC) traduisent une dynamique historique : le peuple cherche à se libérer de l’illégitimité des dirigeants et à accéder à une société plus juste, libre et heureuse. Depuis l’indépendance, seuls Kasa-Vubu et Lumumba ont accédé au pouvoir de manière légitime ; les autres l’ont fait par des coups d’État ou des arrangements politiques, parfois déguisés en processus démocratiques. Cette illégitimité répétée, conjuguée à la corruption, nourrit les tensions récurrentes. Cependant, ces crises ne sont pas vaines : elles participent à une transformation lente mais inévitable du pays. L’auteur défend l’idée que chaque crise contient les germes d’une restructuration supérieure, tant politique que morale. Il évoque un chemin dialectique où, malgré les reculs, la conscience populaire se renforce. Il redéfinit le peuple comme ceux qui subissent le pouvoir, luttent pour leur émancipation et refusent d’être complices par passivité. Pour lui, l’espoir réside dans ce désir profond d’amour, de dignité et de justice qui ne peut être détruit par l’argent ou le pouvoir. En conclusion, Kabamba affirme que ce désir humain fondamental, enraciné dans une mémoire d’un bonheur passé, pousse inéluctablement le Congo vers un avenir révolutionnaire, où la liberté et la justice auront enfin leur place.

Le Mot du Weekend (31 mai 2025) Un Congo sans crises est-il possible ? L’histoire d’un déterminisme révolutionnaire (Tribune de Patience Kabamba)
Professeur patience Kabamba

Par Léon Idole HOPAY

L’aspiration de toute personne humaine est de vivre dans une société dans laquelle elle serait libre et heureuse. Il s’avère que, pour atteindre ce type de société, il faut passer par des crises permanentes.

Car le bonheur et la liberté ne s’obtiennent souvent qu’en rompant avec la tradition de soumission où règnent des arguments d’autorité. Les crises et les guerres dans notre pays sont souvent motivées par l’illégitimité représentative des pouvoirs en place.

On a l’impression que la jouissance du peuple est confisquée par celui qui s'accapare le pouvoir de manière illégitime. Les seuls à avoir été élus légitimement dans notre pays demeurent le premier président, Joseph Kasa-Vubu, et le Premier ministre, Patrice Emery Lumumba. En dehors de ces deux-là, tous les autres sont arrivés au pouvoir par des coups d’État.

Le coup de force de Mobutu a eu lieu, d'abord, le 14 septembre 1960, lors de la neutralisation du président de la République et du Premier ministre, consécutive à leur révocation et à leur destitution réciproques ; ensuite, en novembre 1965, lorsque Mobutu accéda au pouvoir. Il s'ensuivit celui de Laurent-Désiré Kabila, le 17 mai 1997. Joseph Kabila a hérité de ce pouvoir en 2001.

Ici, il s’est agi d’un coup d’État constitutionnel, car la succession dynastique dans une république n’était prévue ni dans la Constitution de la République démocratique du Congo, ni dans la loi 003 instituant le pouvoir de l’AFDL. Enfin, le dernier coup d’État peut être considéré comme « démocratique », en ce sens que la personne massivement élue n’a pas pris le pouvoir. Elle a été substituée et remplacée, à la suite d'un deal, par une autre personne, dans ce que Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, a qualifié de « compromis à l’africaine ».

Le MDW de ce weekend argue que l’histoire a du sens et elle a un sens. Tout doucement, la République démocratique du Congo avance vers l’aspiration la plus profonde de son peuple : vivre dans une société dans laquelle il serait libre et heureux. Ce sens de l’histoire informe la totalité des crises que le pays traverse. Dans ce sens, il existe un déterminisme historique que je qualifie de révolutionnaire.

De crise en crise, le peuple congolais purifie son désir, son aspiration à se défaire de tous ceux qui déstructurent sa vie. Nous avançons vers des lendemains où la crise de légitimité ira toujours décroissante. C’est le sens de l’histoire déterministe : elle avance vers quelque chose de plus acceptable. C’est cela que j’appelle le déterminisme révolutionnaire.

Le temps se donne comme objectivité déterministe d’une signification de sens à vivre pleinement. Il en est de même pour le détournement des deniers publics, devenu une pratique banalisée de nos jours au Congo-Kinshasa. À travers des procès contre des Congolais détourneurs de l’argent du peuple, petit à petit, nous avançons vers cette aspiration d’une société un peu plus honnête.

Cependant, pour l’instant, les procès sont encore sélectifs et la justice est subordonnée au pouvoir. Mon hypothèse est que le temps historique, dans son ensemble, travaille à une historicité plus heureuse et avance vers un déterminisme révolutionnaire. Le déterminisme historique n’est pas mécanique, mais dialectique.

Cela signifie que nous allons encore passer par des crises, à l’instar de celle qui se profile à l’horizon : celle d’un retour au pouvoir des anciens dirigeants. Mais le peuple fera encore face à cette crise avec une intensité dialectique supérieure. En fait, il convient de rappeler que le développement historique repose sur le fait que la crise la plus récente considère les crises passées comme des étapes conduisant à elle-même. De crise en crise, une restructuration supérieure s’opère, même dans les mentalités du peuple. La crise finale sera celle de l’impossibilité de la reproduction des voleurs des deniers publics, de l’impossibilité d’accéder au pouvoir par des voies illégitimes. J’aimerais, à ce niveau, définir ce que j’entends par peuple.

Le mot peuple est galvaudé. Au nom du peuple, on commet beaucoup d’injustices et de bévues. Tous les dirigeants prétendent servir le peuple, alors qu’en réalité, ils se servent du peuple pour s’enrichir individuellement. Le peuple est donc celui sur qui le pouvoir s’exerce. Je ne considère pas la classe politique comme faisant partie du peuple. Le peuple est celui qui se bat pour son émancipation.

Le peuple est la victime de cette histoire de coups d’État et de confiscation du pouvoir par des moyens illégaux. Le peuple subit, et produit en même temps, ce pouvoir. Le peuple subit ce pouvoir parce qu’il est le terreau sur lequel reposent ces coups d’État et les détournements de ce qui lui appartient. Le peuple est aussi complice, parce que la reproduction des coups d’État est l’œuvre de son apathie légendaire. Cependant, le MDW aujourd’hui est optimiste dans la marche historique, déterministe et révolutionnaire.

Nous avançons vers des lendemains meilleurs. Qu’est-ce qui me fait croire à la dialectique du déterminisme révolutionnaire ? Pourquoi voulons-nous vivre dans une communauté de bonheur et de liberté ? C’est parce que nous en avons déjà fait l’expérience dans un passé lointain : en tant qu’humains, nous avons expérimenté la volupté, le vrai bonheur.

Et tout le reste de notre vie est une quête pour retrouver cette communauté de l’être perdue. Aujourd’hui, nous sommes dominés par la société de l’avoir, qui détruit notre désir. Le capital a tout détruit sur notre route. Il a détruit notre avenir, notre sexualité, notre raison d’être. Mais il y a une chose que l’argent n’a pas pu toucher. Sur la rue de Ndjili, deux regards se croisent dans un désir infini d’amour et de volupté. Ce désir-là, rien ne peut le toucher. Ni l’argent, ni aucune fortune ne peuvent détruire l’amour qui habite en nous. Lorsque vous offrez des cadeaux à votre copine, que vous la couvrez de luxe, mais que vous ne la respectez pas, que vous l’insultez en public, elle finira sûrement par vous abandonner. Car la dignité et l’amour n’ont aucun prix. Ils ne peuvent pas être achetés par le capital. C’est cela qui me fait dire que nous avançons vers des lendemains révolutionnaires. D’autant plus que l’amour demeure, en définitive, révolutionnaire. Il voit toujours plus loin.

Il y a en nous un désir infini d’amour et de jouissance qui travaille positivement et nous conduit vers l’auto-mouvement dialectique qui nous pousse à vouloir une société de liberté, de bonheur et de volupté. C’est le véritable sens du déterminisme révolutionnaire qui conduit notre histoire. C’est un déterminisme dialectique et historique !